Esmod et puis le monde
Il peut le dire aujourd’hui : Lobnan Mahfouz n’aimait pas l’école. Elle n’avait rien à apprendre à l’enfant qui ne voulait qu’une chose, rendre le monde plus beau. Il voulait être un artiste et se consolait en biberonnant les vidéos de Chantal Goya, fasciné par les costumes de ces spectacles hallucinogènes. Il adorait aussi traîner dans l’atelier de couture de sa tante paternelle en feuilletant des magazines. Après le bac, il est déterminé à devenir styliste et couturier. À ce moment-là, il n’y avait qu’Esmod Beyrouth, et l’adresse était encore si confidentielle qu’il lui avait fallu demander son chemin pour la trouver. Il en sort quelques années plus tard couronné par une mention. Rabih Kayrouz le prend sous son aile en lui offrant un stage. C’est l’occasion d’apprendre que créer c’est bien, mais qu’il faut avant tout pouvoir vendre. Suivront ensuite des formations chez Élie Saab et Zuhair Murad. Ce dernier lui propose un emploi fixe, mais Lobnan ne veut pas de fil à sa patte. Il accepte un job en Turquie où il travaille dans une usine de robes de soirée. Il rencontre ensuite Giacomo Cinque qui signe des caftans de luxe et le recrute pour surveiller la confection en Inde. The eye has to travel. Lobnan Mahfouz s’intègre à merveille dans la magie du sous-continent. Mais l’alternance des moussons et des saisons sèches lui pèse. Il rentre au Liban en attendant la suite qui ne tarde pas à venir. Pour une chaîne libano-brésilienne de vêtements de masse, il se retrouve à Bangkok et puis à Guangzhou où il découvre, ébloui, l’opulence du fabric market et ses tissus qui pourraient faire plusieurs fois le tour de la planète. À Shantou, sur la mer de Chine, où il se rend régulièrement pour approuver les échantillons, il est désormais accueilli comme un enfant du pays. Mais il est las du climat tropical. Il faut quatre vraies saisons à son inspiration. Il rentre au Liban plutôt que d’étouffer
Maîtriser le noir
Avec les quelques sous mis de côté et une expérience exceptionnelle pour son jeune âge, Lobnan Mahfouz décide, à peine sorti de l’adolescence, de lancer sa propre marque. Il a perçu les changements du monde et ses nouvelles attentes. Il sait depuis longtemps que les hommes lorgnent le vestiaire des femmes et inversement. Qu’une tenue de loisir peut aussi bien transpirer à la gym que frimer en boîte. Il sait surtout que tout est question de style. La mode doit avant tout servir une identité. On est au-delà du beau et du laid. On est dans la sublimation. Il réalise un premier photo-shoot avec Maya Akil, une belle Libano-Chinoise subtilement androgyne. Rabih Kayrouz le remarque de nouveau et le place dans son incubateur, la fondation Starch, pour l’aider à éclore. Lobnan Mahfouz sait déjà maîtriser les coûts et la production. Il lui reste à plaire et à fidéliser. En 2016, il est embarqué par Starch à Dubaï pour présenter sa collection à l’événement Fashion Forward. Il a osé le noir total, pour jouer avec les textures, dit-il. « Good job », lui glisse la critique de mode de Vogue Arabia qui fait partie du jury. Sa nouvelle collection s’appelle Supernova. Il a pressenti le retour du disco. Dans le mille.