
Anwar al-Bunni, avocat syrien des droits de l’homme, a passé cinq ans dans les prisons de Damas. Il (se) raconte à – L’Orient-Le Jour
Jamais zaïm
Ses proches le supplient de quitter Hama et d’aller vivre à Damas où il entame des études d’ingénieur. « Ils me savaient tête brûlée et nerveux », dit-il. La fratrie al-Bunni n’a pas besoin d’un trublion de plus. Les membres directs de sa famille, dont certains, membres du Parti communiste, cumulent à eux seuls plus de 73 années d’emprisonnement dans les geôles du régime. Confronté très jeune à la justice arbitraire et à la violence insensée du régime au pouvoir, et parce qu’il veut défendre ses frères jetés en prison, Anwar al-Bunni décide, en 1975, de se réorienter dans la profession d’avocat. À son actif, les cas de dissidents prisonniers à Saydnaya, d’opposants politiques, ou de manifestants kurdes. Il défend notamment le secrétaire général du Parti communiste de l’époque Riad el-Turk, parfois appelé « le vieil homme de l’opposition syrienne ». Mais aussi l’homme d’affaires et dissident sunnite Riad Seif, propriétaire du journal satirique al-Domari, fermé par la suite par le régime. À la fin des années 90, Anwar al-Bunni fonde, aux cotés d’autres, l’Association syrienne des droits de l’homme, financée en partie par des fonds européens. « Le régime me tolérait car j’étais le seul de mes quatre frères et sœur à ne pas être en prison », raconte-t-il. Mais cette grande gueule n’est pas exempte de menaces et d’intimidations. Entre autres : visites surprises chez lui, et agents des moukhabarat (police politique) qui le pistent dans la rue. Ses détracteurs persiflent : qu’il crie sa colère à qui veut l’entendre, il ne sera jamais zaïm (leader politique). « Les gens ne vont pas t’aimer parce que tu es chrétien et tu ne seras jamais une figure politique », lui lâchent-ils
Hafez el-Assad meurt le 10 juin 2000. Le pays souffle pour la première fois en trente ans, les langues se délient et l’opposition croit au changement qu’elle prône sans se faire entendre. « J’avais le sentiment que le temps des dictateurs était révolu », confie Anwar al-Bunni. Le jeune Bachar, ophtalmologue, n’est pas destiné à reprendre la succession de son père, mais la mort brutale de son frère aîné, Bassel, l’y contraint. Il est alors perçu comme un réformateur. Ce n’est que poudre aux yeux. La répression reprend de plus belle quelques mois plus tard ; le printemps de Damas va faire long feu. C’est en défendant l’économiste et célèbre activiste Aref Dalila que l’avocat se voit interdire d’exercer sa profession. En 2005, Anwar al-Bunni élabore un projet de Constitution, passé sous silence.
En 2006, la déclaration Beyrouth-Damas, Damas-Beyrouth, un communiqué d’intellectuels syriens et libanais qui prônaient une réforme des relations entre les deux pays, est signée et publiée par la quotidien an-Nahar. Parmi les centaines de signataires, Anwar al-Bunni, mais aussi son frère Akram et l’écrivain Michel Kilo. Cette autre figure chrétienne de l’opposition syrienne est un ami de longue date de l’avocat. « Nous avons fait de la prison ensemble, Abou Ayman et moi », dit-il affectueusement. En signant la déclaration incriminant le régime, Anwar al-Bunni sait désormais qu’il s’expose à des poursuites. Il connaît la musique. « Je me réveillais chaque matin en me disant “heureusement que je suis encore libre” », raconte-t-il
Mai 2006, à Damas. Une voiture fonce à toute allure et s’arrête devant le dissident. Des hommes l’empoignent, lui bandent les yeux et le jettent violemment sur la banquette arrière, avant de démarrer en trombe. « J’ai tout juste eu le temps de hurler de toutes mes forces le prénom de mon frère Akram. Il est sorti de la maison, a trouvé la rue vide. Il a compris… », poursuit-il. Le frondeur est emmené à la Sécurité d’État pour y être interrogé et passé à tabac. Le lendemain, il est envoyé au tribunal, les yeux bandés. « Pourquoi tu parles des droits de l’homme ? » lui jette-t-on à la figure. Ce à quoi il rétorque qu’il le fait justement afin que ce genre de dérives n’arrive plus. « J’ai reçu une paire de claques en retour », dit-il. Condamné à cinq ans d’enfermement, Anwar al-Bunni est transféré à la prison de Adra, dans la banlieue nord-est de Damas. Là-bas croupissent prisonniers politiques et de droit commun (meurtriers, trafiquants…). « Le fait d’avoir signé la déclaration était un prétexte pour m’enfermer. Le régime m’a accusé de vouloir le discréditer auprès des Occidentaux. » Les conditions d’enfermement sont déplorables. Anwar al-Bunni fait part de son désarroi auprès de sa famille, qu’il lui est permis de voir une fois par semaine au parloir, et qu’il peut appeler au téléphone de temps en temps. Il n’est pas torturé par ses geôliers dans le sens strict du terme, mais son transfert dans des cellules où il côtoie des meurtriers suffit à le plonger un peu plus dans le désespoir. Par deux fois, il échappe à la mort. Un ex-officier du régime incarcéré tente de le faire tomber d’un balcon. S’en suit une grève de la faim. « J’ai perdu 12 kilos. Ma femme m’a supplié d’arrêter et m’a convaincu de me remettre à manger pour le bien de nos enfants », se remémore-t-il. Pendant ce temps, l’ONU, de nombreuses capitales occidentales, ainsi que de nombreuses ONG appellent Damas à libérer les prisonniers politiques. Le président américain de l’époque, Georges Bush, mentionne Anwar al-Bunni, aux cotés d’autres, dans un discours datant du 13 décembre 2006 et fait part de son inquiétude quant aux conditions de détention. « Les Syriens méritent un gouvernement dont la légitimité est basée sur le consentement populaire et non la force », déclare-t-il
Surtout Ali Mamlouk et Bachar
De sa cellule, fin 2010, Anwar al-Bunni sent le vent tourner. Il sait que son pays ne peut échapper à la vague des printemps arabes. Le dissident est libéré en mai 2011. Ali Mamlouk, chef de la Sécurité nationale, prend notamment personnellement soin de le convaincre de – rester patriote
La communauté chrétienne syrienne soutient officiellement et majoritairement Bachar el-Assad. L’activiste est persuadé du contraire. En 2013, l’avocat se souvient de l’effervescence des quartiers chrétiens de Damas lorsque le régime a été accusé d’avoir utilisé des armes chimiques sur la Ghouta. « Il fallait les voir changer de discours et dire : “On ne veut pas de cette msibé (plaie)”. Obama n’a pas riposté (malgré la ligne rouge qu’il s’était fixée) et, d’un coup, ils soutenaient à nouveau Bachar. Ils sont bercés par les discours du moindre mal et affichent une certaine résilience. Personne n’aime ce régime ni cette famille. Ils sont haïs. Le problème est : qui va nous en débarrasser? » poursuit-il
Étant sur le coup d’une interdiction de quitter le territoire syrien, seuls ses enfants sont envoyés à Beyrouth puis à Berlin. Les parents bravent l’interdit et quittent clandestinement pour les retrouver en 2014. Être désormais loin de son pays ne permet pas à Anwar al-Bunni de vivre sereinement pour autant. Le confort de cette nouvelle vie est indéniable, mais la peur ne le quitte pas.
Anwar al-Bunni était invité par la Maison du Futur à participer à un colloque sur les problématiques du Moyen-Orient, (qui s’est tenu à Bickfaya les 17 et 18 mai dernier). Devant un parterre d’universitaires et de politologues, il détonne. Le discours qui émane de cet homme toujours souriant, au nez aquilin et à la grande moustache noire, est franc, parfois un peu naïf. À sa gauche, une chercheuse moscovite joue parfaitement son rôle : défendre la propagande d’intervention russe en Syrie. « Je ne suis pas un politicien. Je dis les choses avec le cœur. Elle comme moi sommes là pour défendre notre opinion, sans nous battre », confie-t-il à la sortie de la conférence
Récompensé en 2008 du Front Line Defenders Award, octroyé aux défenseurs des droits de l’homme en situation de risque, puis en 2009 du prix de l’Association allemande des juges, l’activiste poursuit sa lutte depuis l’Allemagne. Il espère voir les responsables syriens punis : – un par un. Surtout Ali Mamlouk et Bachar