
Ce fut la première visite d’un ministre saoudien des Affaires étrangères à Bagdad depuis 2003, année de l’invasion américaine de l’Irak. Samedi dernier, Adel al-Joubeir a effectué une visite surprise dans la capitale irakienne. Il y a rencontré plusieurs dirigeants irakiens, dont son homologue Ibrahim el-Jaafari ainsi que le Premier ministre Haider el-Abadi. D’après un communiqué publié par le bureau du Premier ministre, les discussions entre les deux délégations ont notamment porté sur la lutte contre le terrorisme, et « contre les bandes de Daech », en référence au groupe État islamique. Le bombardement, quelques jours plus tôt, par Bagdad de positions de l’EI en Syrie, non loin de la frontière saoudienne, se veut d’ailleurs être le signe encourageant d’une détermination irakienne à combattre le terrorisme « où qu’il soit », aux dires de Haider el-Abadi.
Critiquée par le camp de l’ex-Premier ministre chiite Nouri el-Maliki, saluée par les États-Unis qui l’ont qualifiée de « déterminante », cette rencontre aurait pourtant dû avoir lieu plus tôt. Depuis sa nomination en 2014, Adel al-Joubeir appelle à une relance des relations bilatérales, fortement mises à mal depuis l’été 2016. Thamer al-Sabhan est nommé en janvier de la même année au poste d’ambassadeur du royaume à Bagdad, le premier depuis la rupture par Riyad de ses relations diplomatiques avec le régime de Saddam Hussein après l’invasion irakienne du Koweït en 1990. Huit mois plus tard, ses critiques des Unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi), milices chiites paramilitaires proches de l’Iran, qui soutiennent le pouvoir irakien dans sa lutte contre l’EI, et qu’il accuse d’avoir cherché à l’assassiner, lui valent d’être rappelé dans son pays. Depuis, c’est un chargé d’affaires, Abdel Aziz el-Chammari, qui le remplace. Entre-temps, Bagdad essaie de relancer la coopération entre les deux pays : l’ex-président irakien Jalal Talabani a visité Riyad en 2010, et son successeur et actuel président Fouad Maassoum avait fait une visite similaire en 2014. Sans résultat.
Cette nouvelle visite donne donc un nouveau souffle aux relations entre les deux pays, le ministre saoudien des AE ayant affirmé vouloir nommer un nouvel ambassadeur à Bagdad. La rencontre a également porté sur les relations commerciales entre Riyad et Bagdad. Selon plusieurs sources du ministère irakien des Affaires étrangères, il a entre autres été question de la réouverture du poste-frontière de Joumaima, de la reprise des vols civils et de la simplification des procédures de visas pour les ressortissants des deux pays. Mais, surtout, il s’agit, selon les propos d’un responsable irakien à l’AFP, d’une rare opportunité pour Bagdad – depuis toujours tiraillé entre l’Arabie saoudite et l’Iran – d’avoir des relations équilibrées avec les deux puissances régionales.
Entre l’Iran et le CCG
Le contexte actuel semble propice à de tels développements, aussi timides soient-ils. Une semaine avant la visite surprise de Adel al-Joubeir à Bagdad, le président iranien Hassan Rohani s’est en effet rendu au Koweït et au sultanat de Oman, partenaires stratégiques de l’Arabie saoudite, dans le but de réchauffer les relations de la République islamique avec les monarchies du Golfe et de « dissiper les malentendus ». Le dialogue a également repris entre Téhéran et Riyad pour permettre aux pèlerins iraniens de se rendre à La Mecque.
Embourbée dans un conflit sans fin au Yémen, délaissée par ses partenaires historiques comme les États-Unis, visée par des attaques sur son sol et à sa frontière, l’Arabie semble multiplier les initiatives diplomatiques qui lui permettraient de conforter un rôle régional conséquent. Le royaume cherche de toute évidence à contrebalancer l’influence iranienne en Irak, et plus généralement dans la région. Parallèlement, le ministre saoudien des Affaires étrangères a affirmé à Bagdad être à égale distance de toutes les confessions en Irak sans exception, se voulant rassurant pour la communauté sunnite irakienne, qui s’estime marginalisée par le pouvoir chiite à Bagdad.