C’est au bout d’un fil téléphonique tendu du Liban jusqu’en France qu’aura lieu cette « rencontre » virtuelle avec celui que l’on surnomme le senior préféré des seniors. Celui qui affiche avec élégance 53 ans de carrière est encore surpris, comme au premier jour, de durer en prenant de belles rides et quelques cheveux blancs. Il ne se prive pas de le dire tout haut : « Je trouve miraculeux d’être encore là. » Michel Drucker est resté le même, sportif et travailleur acharné, méticuleux, hypocondriaque, à l’écoute des autres et surtout humble. Avec cette lucidité qui l’a protégé du pire, la grosse tête. Je vis mon quotidien avec des gens célèbres qui ont toutes les pathologies possibles », confie-t-il de sa voix reconnaissable à des milliers de kilomètres, et qui est un peu sa « marque de fabrique ». « J’ai rencontré les grandes stars du monde, poursuit-il. Bardot, Marilyn, Gabin, Darrieux, Belmondo, tous ceux qui ont marqué le théâtre ou le cinéma. À l’exception de quelques champions sportifs, ils ne m’impressionnent pas du tout. Au fil des années, je me suis aperçu que les grands souvenirs que j’ai ne sont pas liés à des gens célèbres, mais à ces anonymes qui m’ont le plus troublé et à qui j’ai trouvé le plus de talent
Des mots et une image
Sa voix, justement, parlons-en de cette voix apaisée et apaisante. Familière et amicale. Ce juste ton qui ne tremble pas, par pudeur, même quand il vient d’apprendre la disparition subite de son ami Claude François, une heure avant que ce dernier, invité de son émission phare d’alors, Les Rendez-vous du dimanche, ne meurt électrocuté le 11 mars 1978. Ce ton qui ne bronche pas non plus, un 5 avril 1986, quand Serge Gainsbourg, dans un dérapage apparemment incontrôlé face à une sublime Whitney Houston, lui déclare en direct dans l’émission Champs-Élysées : « I want to fuck you. » Drucker, c’est du travail, du travail et du travail. De la discipline et une adrénaline héritée de son père. Une volonté d’autodidacte de montrer à ce dernier, quand il demandait : « Mais qu’est-ce qu’on va faire de toi ? », ce qu’il est capable de faire de lui-même. Et puis cette chose indéfinissable qui le rend proche, accessible, sincère. « Les gens m’appellent Michel. Ils ont tellement l’habitude de me recevoir chez eux depuis tant d’années, aux 4 coins du monde, que je suis devenu l’ “homme des week-ends”. Ce moment où l’on rassemble le plus de gens autour de la table familiale. Ceux qui avaient 15 ans à mes débuts ont grandi avec moi. Ceux qui avaient 15 ans à l’époque de Champs-Élysées, de Vivement dimanche aussi. » Entre le sport et les variétés, son cœur a tout le temps chaviré en jetant l’ancre ici ou là, avec le même bonheur et recul qui l’aident à durer dans le temps. « La fatigue du succès n’a rien à voir avec la fatigue de l’insuccès », dit-il. Alors, quand on lui demande comment fait-il pour, justement, durer sans ennuyer et sans s’ennuyer depuis 1964, l’année de ses débuts à l’ORTF, il répond : « C’est une vraie question que je me suis souvent posée, dès le début de ma carrière. Au lieu d’être heureux d’entrer si jeune dans un monde qui me fascinait déjà, j’avais moins de 20 ans, je me suis beaucoup inquiété. Tous ces métiers qui font que vous devenez célèbre très vite sont dangereux. Parce que je n’appartiens pas à cet univers, j’ai voulu apprendre la vie dans la vie. »
Les mots, durant cette conversation informelle, Michel Drucker les partage sans les chercher, spontanément. Ce coup de fil prend très vite des airs d’émission radio. Normal, car « 20 ans de radio m’ont tout appris », rappelle-t-il. L’art du verbe, du mot juste, qu’il a également réussi à transposer dans des livres où l’animateur s’est livré avec légèreté et des pointes d’émotions vraies
Tout, vous saurez tout
C’est un peu pour ça, pour joindre son amour de la parole et de la télévision, pour une plus grande proximité et une intimité avec son public, que Michel Drucker a décidé d’entrer en scène, d’occuper les planches théâtrales dans un one-man-show qui lui ressemble et dans lequel il se plaît et réussit à partager ses souvenirs, ses rencontres, les coulisses de sa vie. La pièce est mise en scène par le producteur, réalisateur, metteur en scène, scénariste et acteur Steve Suissa, qui collabore souvent avec Éric-Emmanuel Schmitt et vient de mettre en scène la pièce de Laurent Ruquier, À droite à gauche. Le décor est signé Stéfanie Jarre. Fille de l’épouse de Michel Drucker Dany Saval et de Maurice Jarre, elle a conçu près de 400 décors de télévision et de théâtre, et a décroché un Molière et une nomination
Deux heures durant, Drucker se pose sous les projecteurs avec la discrétion qu’on lui connaît et une nouvelle légèreté. Les gens rient, j’en suis surpris. Il y aura des petites parenthèses, un voyage dans le temps, des souvenirs en commun à partager. Je raconte pour la première fois l’envers du décor, poursuit-il. Je raconte mon Belmondo, mon Johnny, mon Delon à moi. Ce que j’ai vécu avec eux. Je ne suis pas tout seul, vous verrez… » En attendant d’être seul avec lui le samedi 18 mars, le public français, dans les 50 villes où le spectacle se produit, applaudit ces confessions, des tranches de vie dont il se souvient aussi. Même le président François Hollande, qui a pour sa part préféré assister à la dernière aux Bouffes Parisiens plutôt que de suivre à la télévision le deuxième débat des primaires à gauche… « Je suis un personnage de Lelouch, qui aime partir, revenir, conclut Michel Drucker. Le recordman de la longévité, même dans ma vie personnelle
*« Seul avec vous » au Casino du Liban, le samedi 18 mars à 20h30. Une coproduction Star System et 2U2C, dans le cadre des Nuits Nostalgie. Billets en vente au Virgin Ticketing