
Dès qu’une crise secoue les pays du Golfe, le premier souci des Libanais concerne les possibles retombées du conflit sur les intérêts économiques de milliers de leurs compatriotes qui travaillent dans cette zone. Une crise majeure comme celle de la rupture des liens diplomatiques de plusieurs pays, à leur tête l’Arabie saoudite, avec le Qatar représente un risque majeur, comme nous l’explique un Libanais qui se rend très souvent dans ce pays pour du travail. Il nous livre ses impressions sous couvert d’anonymat
Selon cette personne, – les tensions entre les pays du Golfe, d’une part, et le Qatar, d’autre part, ne sont pas nouvelles, et ce n’est pas la première fois qu’il y a retrait des ambassadeurs ». « Toutefois, ce qui se passe actuellement est plus sérieux parce que le blocus imposé au pays devrait considérablement ralentir l’économie, poursuit cette source. Les licenciements allaient déjà bon train dans certaines sociétés, et avec cette crise, la situation devrait empirer
Les Libanais qui risquent de souffrir le plus sont ceux qui circulent et travaillent dans plusieurs pays, au Qatar, mais aussi en Arabie ou aux Émirats arabes unis, poursuit-il. Beaucoup d’autres sont propriétaires ou directeurs de société, et l’État du Qatar est leur principal client : qu’adviendra-t-il si celui-ci est en difficulté ? D’autant que les Libanais ne sont pas les seuls menacés : il y a près de 200 000 Égyptiens qui travaillent au Qatar, beaucoup dans des sociétés libanaises. Avec les prises de position du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, contre le Qatar pour son appui aux Frères musulmans, quel sera leur sort
Ces questions restaient hier en suspens, mais la difficulté d’obtenir le témoignage de Libanais du Qatar sur cette crise en dit long sur l’incertitude qui plane sur ce pays, désormais isolé de son entourage
Sur les causes profondes de cette crise et les risques potentiels sur l’intérieur libanais, nous avons interrogé un chercheur spécialiste de la question, qui s’est lui aussi exprimé sous couvert d’anonymat. Selon lui, le Qatar paye le prix d’une ambiguïté certaine dans sa politique étrangère. En effet, cela fait des années que, tout en ayant sur son sol une base américaine, le Qatar héberge aussi une chaîne d’information continue, al-Jazeera, qui relaie des opinions antiaméricaines. Le pays héberge aussi des personnalités hautement controversées, comme la tête pensante des attentats du 11-Septembre aux États-Unis ou encore de grands responsables des Frères musulmans. Le chercheur estime que ce pays cherchait ainsi à préserver ses intérêts avec toutes les parties dans un contexte régional instable, mais il en paie le prix aujourd’hui
Pour sa part, Salem Zahran, journaliste proche du 8 Mars, souligne que le Qatar paie le prix de son pari sur l’ancienne administration américaine de Barack Obama, et que ce pays est la première victime du nouvel accord passé entre l’Arabie saoudite et la nouvelle administration de Donald Trump. « Le projet des Frères musulmans est tombé, et le rôle régional du Qatar avec », affirme-t-il. Toute cette affaire serait donc « une volonté de ramener le Qatar à sa dimension initiale et de limiter son rôle régional », selon lui
Y aura-t-il des répercussions sur le Liban ? Le chercheur interrogé pense qu’elles se concentreront surtout sur les intérêts économiques des Libanais dans le Golfe. Mais ce n’est pas l’avis de Salem Zahran. – Nous ne sommes pas à l’abri d’un clash entre des pro-Qatar et des pro-Arabie saoudite au Liban même, souligne le journaliste. Je recommande fortement aux autorités, notamment au Premier ministre Saad Hariri, de garder le Liban en dehors de ce conflit régional qui nous dépasse largement
Cette crise risque-t-elle de durer, ce qui aggraverait les risques encourus par les Libanais au Golfe ? Selon les diverses sources interrogées, les pressions économiques risquent de peser lourdement sur le Qatar, un petit pays qui compte sur l’importation, notamment par le port de Dubaï. D’autant plus que le Qatar ne peut pas s’isoler de son milieu aussi facilement. Prenant tous les facteurs en compte, il pourrait chercher à raccourcir cet état de blocus qui lui est imposé. Selon une source, – le fait que le Koweït et Oman aient été capables de ne pas se joindre à ce mouvement de blocus est une bonne nouvelle, étant donné que ces pays jouent généralement le rôle de médiateurs