La nuit venue, Beyrouth se transformait et on n’y croisait plus que des hommes, ou presque. Ainsi, en plein milieu de la place el-Bourj, on se retrouvait entre hommes une fois le travail terminé pour assister à des programmes musicaux au Parisiana. Salim s’y rendait souvent pour écouter la chanteuse égyptienne Samiha el-Qorachi qu’il continue d’admirer jusqu’à aujourd’hui. « Elle avait une voix merveilleuse et elle jouait tellement bien au qanûn. Il y avait tout un programme proposé par le Parisiana, mais je ne rentrais que lorsque son tour venait ! » indique-t-il
Un peu plus bas, vers la mer, Zaytouné était un des quartiers de Beyrouth les plus prisés des amoureux de la vie nocturne. Avec ses restaurants et ses « cabarets », notamment L’Auberge, le restaurant Mansour ou le Kit-Kat (où l’on pouvait assister à des numéros d’effeuillage), Zaytouné avait de quoi satisfaire tous les goûts. « Si nous avions envie d’écouter de la musique orientale, nous nous rendions à L’Auberge ou chez Mansour où se produisaient la grande Samira Toufik, Nazha Younès, ainsi que Jacqueline Monroe, une chanteuse d’origine arménienne, se souvient Salim. Pour neuf livres et quatre-vingt-dix piastres, on pouvait assister à un “programme”, tout en sirotant un verre d’arak et en fumant un narguilé. C’était un monde exclusivement masculin et aucune femme n’y mettait les pieds. Ce n’était pas acceptable à l’époque », raconte-t-il
« Des fois, je me rendais au Théâtre Farouk, situé à la place el-Bourj, ou au Téatro al-Kabir, à la rue Maarad. Ils proposaient aussi des soirées musicales. Beaucoup de grands chanteurs s’y produisaient, dont l’Égyptien Karem Mahmoud qui venait souvent au Liban », souligne Salim
Il rapporte par ailleurs une anecdote insolite qui prouve à quel point le Beyrouth d’avant la guerre civile « ne dormait pas ». « Non loin du Parisiana, il y avait un marchand de jus qui travaillait vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Ce magasin a connu une des situations les plus cocasses à la mort de son fondateur, raconte Salim. Le propriétaire avait trois fils qui se relayaient chacun durant huit heures d’affilée à la caisse. Le jour du décès de leur père, ils ont été incapables de fermer la boutique parce que la porte coulissante en fer, qui n’avait pas été utilisée depuis des années, ne fermait plus ! C’est la preuve que Beyrouth ne dormait jamais ! Nous avions même de l’électricité vingt-quatre heures sur vingt-quatre », soupire-t-il