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Le manque de sérieux, un syndrome libanais

Le manque de sérieux, un syndrome libanais

 

17/02/2018

Que signifie être sérieux ? La question, généralement du domaine de la morale, de la psychologie et des rapports sociaux, revêt au Liban une portée éminemment politique. Elle est liée à la culture politique et l’avenir de toute entreprise de réforme et de planification au Liban.

Tout au Liban, pour des raisons imbriquées, à la fois internes et externes, se dilue dans une vision accommodante de la vie. Alors que le compromis est, selon le philosophe allemand Georg Simmel, « la plus importante invention de l’esprit humain », les compromissions au mépris de l’intérêt général et des fondements de l’État font ajourner à plus tard, avec des coûts exorbitants des règlements impératifs.

 Nous vivons au quotidien dans la vie publique le manque de sérieux dans les ajournements qui ont eu lieu pour l’approbation d’une nouvelle loi électorale, et ceux toujours de mise dans la crise des déchets, les coupures du courant électrique, les pénuries d’eau… Nous le vivons au quotidien dans des débats télévisés où des gouvernants rient à propos d’un problème fort grave. Ou dans des assemblées prestigieuses où des responsables répondent de façon cavalière à une question épineuse. Nous le vivons même parfois au moment de graves crises diplomatiques, comme l’a illustré en novembre l’épisode de la démission avortée du chef du gouvernement, Saad Hariri.

Cette désinvolture, choquante pour une personne équilibrée, ne se limite pas à ce qu’on appelle globalement et sans nuance la classe politique. Elle se manifeste au niveau d’employés, de fonctionnaires, de directeurs généraux, d’enseignants, de dirigeants d’association, de conférenciers…

Mentalité du « maalesh »
L’explication réside dans la psychologie historique du Libanais moyen. Le Liban a toujours été contraint d’accommoder, d’adapter, de contourner les diktats d’une autorité étrangère. Phénomène en partie positif, qui fait que, pour tout occupant, le Liban a toujours été un piège, un puzzle, un champ miné ou parsemé d’œufs, et donc à manier et manipuler avec précaution.

L’accommodation dans l’expérience historique, tragique et exaltante, du Liban a produit nombre de proverbes du terroir : « mashîha » (« fais passer »), « baynâtina » (« entre nous »), « shû fihâ » (« ça ne fait rien »), « lâ tihmul al-sullum bil aard » (« ne porte pas l’échelle en largeur »)… D’où la mentalité du « maalesh » (« ne t’en fais pas, ça ne fait rien »). Il y a aussi « shatâra » (« faire le malin »), « musâyara » (« complaisance »), « tazâki » (« se croire plus intelligent que le type de l’autre communauté »), « al-wâqîh » (« la réalité ») et « al-thurûf » (« les circonstances »)… Tout se dilue ainsi dans une vision accommodante de la vie.

Que signifie donc être sérieux ? Comment éduquer le Libanais à la qualité de sérieux ? Comment insuffler l’ambiance de sérieux dans toute institution ? Nous ne voulons pas ici parler de l’humour ou de l’insouciance, mais du sérieux dans la vie publique. Aussi, Jihad Naaman a-t-il écrit, il y a plus de vingt ans, un petit fascicule sur la mentalité libanaise, al-ma’aîshyya (« Ça ne fait rien »).

Être sérieux, selon Le Grand Robert, signifie avoir le sentiment de l’importance de ce que l’on fait, ne pas s’engager à la légère, être soigneux avec science et vigilance, ne pas badiner, application, gravité, solidité… Dans des annonces, on relève parfois : « Si pas sérieux, s’abstenir. » En langue arabe, d’après le Lisân el-Arab, « Jadda » et « Ijtahada » signifient : accélérer, rendre effectif, prendre à cœur une affaire (« ihtamma »). Le terme « al-jidda » signifie : assiduité, éviter la désinvolture et exécuter jusqu’au bout.

Le sérieux condense tout un ensemble de qualités : assiduité, persévérance, souci de parfaire (« per-fectum »), c’est-à-dire accomplir jusqu’au bout, responsabilité, sens de l’impact d’une action et de l’intérêt général… Celui qui est sérieux est digne de confiance et à la hauteur de la confiance placée en lui. Quand on est sérieux, on a conscience des effets à court, moyen et long terme de nos actes. Le sérieux est la qualité d’une personne vraiment adulte.

« Gouverner, c’est prévoir »
C’est en politique que le Libanais moyen semble n’avoir pas atteint l’âge de maturité. La politique à la libanaise est immédiate, au jour le jour, hic et nunc, selon la primarité du tempérament libanais moyen tel que décrit par le psychanalyste Mounir Chamoun, alors que la politique implique par essence des perspectives à court, moyen et long terme. « Gouverner, c’est prévoir (Émile de Girardin)… Sommes-nous rebelles à la planification et des politiques publiques ? Oui, au niveau des structures mentales. Si nous le sommes ainsi, ce n’est pas pour des motifs génétiques, mais pour des raisons de psychologie historique et donc guérissables par des processus de socialisation et d’éducation.

Le petit enfant qui fait un beau dessin et voit son institutrice s’exalter devant lui, qu’elle lui dise : « Essaie de le parfaire », sans cependant dénaturer le dessin. Une bonne pédagogie de l’histoire contribue à l’élargissement du champ de la conscience. Nous avons trop appris à nous adapter, au jour le jour, à toutes les vicissitudes de notre histoire. Mais c’est le même Liban qui nous montre à quel point il est aussi résistant et pérenne que le Cèdre.

Planifier au Liban ? Un slogan longtemps rabâché. Il nous faut d’abord une culture et une pédagogie de la planification.

Membre du Conseil constitutionnel et titulaire de la chaire Unesco d’étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue de l’USJ.

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