UN PEU PLUSMédéa AZOURI | OLJ29/06/2019303
La meilleure façon de définir le Liban à des étrangers, c’est de leur expliquer que chez nous, c’est celui qui vient en sens interdit qui insulte l’autre. Voilà le meilleur résumé de ce qu’est devenu notre pays. Un pays où l’on se fout des lois. Où l’on se fout des autres.
Il n’y a pas si longtemps, on sentait une certaine névrose chez le peuple libanais. Névrosés du volant, névrosés au travail, névrosés tout court. Névrose : affection caractérisée par des troubles affectifs et émotionnels sans cause anatomique, et intimement liée à la vie psychique du sujet. Jusque-là, on savait que nous avions, pour la plupart d’entre nous, pété un plomb. Sauf qu’avec la régression de l’État, l’absence de contrôle, la quasi-disparition des sanctions et la disparition de ce qui restait de contenance extérieure, les Libanais ont fini par agir comme des psychotiques. Ils font ce qu’ils veulent, exactement comme dans la psychose. Ils ont perdu contact avec la réalité. Ils ne réalisent même plus qu’ils commettent des exactions. Et pour couronner le tout, le Parlement a voté une loi pour la régularisation des infractions immobilières enregistrées entre le 13 septembre 1971 et l’année 2018. Bravo.
La psychose, c’est l’absence de lois. Quand la loi dépénalise le crime – expropriation, constructions illégales, occupation du bord de mer – et ceux qui ont commis des exactions, on dit aux Libanais : « Faites ce que vous voulez. » Et ils le font. Avant, on commettait des escroqueries mais avec la peur d’être punis. Aujourd’hui, les gens commettent des crimes sans réaliser qu’ils le font. Je viens en sens interdit et je t’insulte en te demandant de reculer ou de te pousser. Je le fais devant un policier plus occupé à zyeuter une jolie blonde en lui demandant ses papiers qu’à coller une amende au chauffard qui arrive en trombe, sur sa mobylette, sans casque, avec trois gamins assis sur le siège et parlant au téléphone bien évidemment. Je conduis sur les routes comme si l’autre n’existait pas. J’accélère quand je vois un passant traverser la route que j’emprunte. Je me gare devant l’entrée d’un parking privé et je me permets de rabrouer la personne qui veut y entrer. Je me crois tout permis. Felten l’balad.
Chacun fait ce qui lui plaît. Et advienne que pourra. Je fais une Fake Id à mon gamin qui trouve normal de rentrer à pas d’heure. J’engueule les profs quand il a une mauvaise note. Je l’aide à tricher aux examens. Je soudoie le directeur en lui offrant des cadeaux pour que ledit petit ait des privilèges au sein de l’école. Faites évoluer votre abonnement et profitez maintenant d’un accès illimité aux contenus réservés aux abonnés PremiumPlus de détails
Je confisque le passeport de mon employée de maison, je ne lui paye pas l’intégralité de son salaire, je la bats quand elle n’a pas bien accompli les tâches ménagères et je la renvoie chez elle sans un sou parce que j’en ai eu envie. Je tabasse ma femme à mort et je ne me fais pas inculper parce que j’ai une wassta auprès d’un homme politique. J’abats quelqu’un dans la rue et je ne me retrouve pas à Roumieh. Par contre j’y passe trois ans si on me chope avec un pétard.
Je promène mon chien en le laissant déféquer partout. J’occupe le trottoir public en y plaçant des chaises, des poteaux, des pancartes. Je m’octroie une place pour ma voiture devant mon immeuble. Je ne paye pas mes factures d’électricité parce que j’ai trafiqué mon compteur. Je n’enregistre pas mes locataires à la municipalité pour ne pas payer de taxes. Et je les vire quand bon me semble. Je fais des travaux à 6 heures du matin le dimanche et rien ni personne ne m’en empêchera.
Les Libanais ont perdu tout sens de la réalité. Ils vivent dans un La La Land anarchique à côté duquel une république bananière fait office de petite joueuse. Mais ce n’est pas leur faute.
Comment respecter les lois quand ceux qui sont censés donner l’exemple les bafouent jour après jour ? Et surtout, comment va-t-on faire pour revenir à l’ordre ? Pour (re)devenir le pays du miel et de l’encens.