COMMÉMORATIONÀ l’occasion du quarantième anniversaire de l’assassinat du leader druze, trois personnalités qui l’ont connu racontent l’homme qui les a marqués, pour des raisons différentes
Il y a quarante ans, le 16 mars 1977, Kamal Joumblatt, député et leader druze, était assassiné dans sa voiture sur une route du Chouf, victime d’un guet-apens dressé à quelques centaines de mètres seulement d’un barrage syrien, peu après s’être opposé à l’intervention armée syrienne au Liban. Cet assassinat mettait fin à la longue carrière politique d’un homme qui aura profondément marqué son époque autant par son action, les partis et mouvements politiques qu’il a fondés que par ses écrits. Quarante ans plus tard, comment certains de ceux qui l’ont connu de près se souviennent-ils de lui, et comment voient-ils son héritage politique
Chaque jour, je ressens le besoin de leaders de sa trempe
Kamal Joumblatt était une personnalité exceptionnelle. » C’est en ces mots que l’ancien député Élias Atallah, de la Gauche démocratique, décrit l’homme qu’il a connu lorsqu’il était encore à l’université, en 1973, et dans le parti duquel il n’allait pas tarder à devenir un cadre
« Chaque jour, je ressens encore plus le besoin de leaders de la trempe de Kamal Joumblatt, poursuit Élias Atallah. Depuis son entrée dans la vie publique et jusqu’à son assassinat, il a refusé de traiter avec ceux qui ne respectaient pas la dignité du Liban. C’était un modèle, surtout pour les catégories défavorisées de la population. Toutes les réformes effectuées par l’État libanais en ces années-là portent les empreintes de Kamal Joumblatt et de Fouad Chehab
Nostalgique, comme si le choc de la nouvelle de l’assassinat de Kamal Joumblatt n’avait pas quarante ans déjà, Élias Atallah estime que « les Syriens ont su qui assassiner lorsqu’ils ont projeté de mettre la main sur le Liban, ce qu’ils ont fait de 1977 à 2005 ». Il ajoute : « Il était d’une probité absolue en toutes circonstances, quel que soit le poste qu’il occupait. Il était aussi d’une grande humilité, honnête et courtois, et, surtout, d’une immense culture. »
Élias Atallah affirme penser à Kamal Joumblatt ces derniers jours, alors que le débat sur les taxes bat son plein. Qu’aurait fait le fondateur du Parti socialiste progressiste ? « Je n’ai aucun doute qu’il serait descendu dans la rue, et il aurait eu la crédibilité pour le faire parce qu’il a toujours été irréprochable », affirme-t-il
Ses paroles avaient grandi le Liban
Pour Karim Mroué, ancien journaliste et dirigeant du Parti communiste libanais, le leader druze, qu’il a connu depuis les années 60, est « une personnalité exceptionnelle de l’histoire contemporaine libanaise ». « C’était un grand penseur, et l’homme était au centre de sa pensée, dit-il. C’est pour défendre l’homme en tant qu’individu, que groupe, que population, qu’il a fondé le PSP. » Kamal Joumblatt était aussi le fondateur du Mouvement national avec diverses personnalités et partis, tous profondément convaincus par le combat pour la laïcité.
Karim Mroué estime « qu’on peut aisément deviner qui a tué Kamal Joumblatt, quand on se souvient des mots qu’il avait prononcés à l’issue de son entretien avec le président syrien Hafez el-Assad, lorsqu’il avait déclaré aux médias qu’il refusait de laisser entrer son pays dans une grande prison ». Et d’ajouter : « Dans un éditorial que j’avais écrit le lendemain de cette déclaration, j’avais considéré que ces paroles avaient grandi le Liban
Pour Karim Mroué, un leader du calibre de Kamal Joumblatt manque beaucoup au Liban d’aujourd’hui. « Sa lutte pour une démocratie moderne et laïque demeure d’actualité de nos jours et nous continuons de nous battre pour concrétiser son message », affirme-t-il
Il vivait avec harmonie son appartenance plurielle
Farès Souhaid, secrétaire général du 14 Mars, partage cette fascination envers le personnage et lui voue, ainsi qu’à sa famille, une réelle affection, même s’il n’adhère pas à tous ses choix politiques. Il l’a connu très jeune, lorsque sa propre mère, Nouhad Souhaid, faisait partie de ces personnalités chrétiennes indépendantes, chéhabistes, qui s’étaient rapprochées du mouvement de Kamal Joumblatt dans les années soixante. Il se souvient qu’à Moukhtara, il a participé à mon éducation chrétienne, moi l’élève du Lycée français laïque, tellement il était érudit ».
Plus tard, ses lectures d’étudiant lui donneront une image plus nuancée du personnage, notamment au regard de sa position vis-à-vis de l’OLP, même si la fascination demeure. « Kamal Joumblatt était sans nul doute au-dessus de la mêlée, à un niveau libanais comme arabe, souligne-t-il. Ce qui m’a toujours frappé chez lui, c’est qu’il vivait avec harmonie son appartenance plurielle de druze issu d’une grande famille de cette communauté, de Libanais, d’Arabe, de propalestinien, d’érudit, de progressiste… Et il n’a jamais négligé aucune de ces appartenances. C’est ce qui rendait sa personnalité si spéciale
Pour Farès Souhaid, Kamal Joumblatt, pour redonner à sa communauté sa place dans le cercle du pouvoir, avait opté pour une appartenance plus large. « C’est exactement le contraire de ce qui se passe aujourd’hui, à une époque où nous menons la bataille de nos communautés dans une attitude d’autodéfense », constate-t-il