
Depuis plusieurs semaines, la contestation monte au sein des milieux d’affaires et des syndicats contre la hausse des taxes préconisées dans l’avant-projet de budget de 2017. Examiné actuellement en Conseil des ministres, le projet, qui a été déposé il y a sept mois par le ministre des Finances Ali Hassan Khalil au Grand Sérail, contient 27 nouvelles mesures fiscales devant générer 1,61 milliard de dollars de recettes supplémentaires. Or M. Khalil a, à maintes reprises, déclaré que cette hausse des taxes était nécessaire au financement d’une nouvelle grille des salaires pour la fonction publique (796 millions de dollars en 2017) et contenir l’élargissement du déficit qui s’élèvera à 5,2 milliards de dollars en 2017. Celui-ci augmenterait de 31,6 % par rapport à 2015 du fait d’une hausse plus rapide des dépenses (+21,8 %) que des recettes (+16,7 %). Résultat, « le ratio dette/PIB risque de continuer à grimper. Cela signifie qu’au moindre choc politique, économique ou extérieur, le risque devient sérieux », alerte l’économiste Roy Badaro. En 2016, la dette publique a atteint 74,9 milliards de dollars, soit environ 147 % du PIB estimé.
Taxes indirectes
S’ils soulèvent tous la nécessité de mettre fin à cette situation, la plupart des observateurs interrogés par L’Orient-Le Jour dénoncent néanmoins la prépondérance des taxes indirectes, visant principalement la classe moyenne, dans le texte examiné par le gouvernement. Outre la mesure prévoyant le relèvement d’un point du taux de TVA – à 11 % – qui devrait être la plus rentable (171 millions de dollars supplémentaires en 2017), le projet prévoit notamment une multiplication par cinq des taxes sur les boissons alcoolisées importées ; le relèvement de plusieurs droits de timbre ;
ou encore une hausse de la taxe sur les sorties terrestres et aériennes de voyageurs.
« Si on augmente les taxes sur la consommation », cela pourra se traduire par un effet négatif sur l’activité économique, qui mènera « à une baisse des recettes contraire à l’effet souhaité », avertit M. Badaro. « Les taxes ne doivent pas être augmentées tant que la qualité des services publics et des infrastructures n’est pas améliorée de façon notable », ajoute-t-il. « Le consensus politique actuel a engendré une hausse de la confiance des consommateurs, mais celle-ci sera compromise en cas de hausse des taxes », renchérit le directeur du département de recherche de la Byblos Bank, Nassib Ghobril.
Mais la plus contestée des mesures demeure la hausse de la TVA. « Elle creusera davantage les inégalités sociales, car elle aura un impact beaucoup plus grand sur le pouvoir d’achat des individus à revenus limités », regrette l’avocat fiscaliste Karim Daher. « Il faut plutôt songer à baisser la TVA à 5 % pour les produits de première nécessité, l’augmenter à 15 % pour les produits de luxe et maintenir un taux de 10 % pour les produits intermédiaires », poursuit-il. « Un relèvement d’un, voire de deux points du taux de la TVA peut être adopté, mais à condition qu’il ne soit pas accompagné par d’autres mesures visant les catégories à revenus limités », estime de son côté l’ancien ministre, Georges Corm.
Certains contestent aussi les hausses de taxation sur les activités professionnelles comme la hausse de deux points de la taxe sur les intérêts bancaires (à 7 %) et celle de l’impôt sur les bénéfices des sociétés de capitaux (à 17 %). Cette dernière « ne distingue pas entre les secteurs touristique, commercial et industriel qui sont en état de marasme et les secteurs des banques et des assurances qui continuent de réaliser des bénéfices », regrette Me Daher. « Le régime fiscal actuel favorise les revenus rentiers et décourage les industries productives », dénonce M. Corm. « Les taxes ne doivent être augmentées pour aucun type de sociétés. C’est au contraire le moment de réduire les impôts, ce qui encouragera la consommation et l’investissement. Il faut doper la compétitivité de l’économie libanaise », réagit M. Ghobril.
Pour réduire le déficit public dans un contexte de grave déséquilibre des finances publiques, les experts interrogés suggèrent plusieurs types de mesures.
Côté recettes, outre la lutte contre l’évasion fiscale et l’amélioration de la collecte, M. Ghobril propose des sources alternatives de revenus comme « la taxation du tabac, ce qui rendra service à la santé des Libanais ». « Une imposition des biens-fonds maritimes permettrait par exemple de générer, selon le ministère des Travaux publics, jusqu’à 600 millions de dollars de recettes par an », illustre de son côté Me Daher. Pour M. Corm, il y a toute une refonte du régime fiscal libanais à prévoir. « Ce qu’il faut, c’est un impôt général sur le revenu qui permettra d’unifier l’imposition (directe) et faciliterait la vie aux contribuables. Nous savons que de nombreux Libanais ont différentes sources de revenus. Nous avons une progressivité qui est déjà très faible, et il faut y remédier en construisant un système fiscal juste et efficace. » Pour rappel, les impôts sur le revenu des particuliers oscillent entre 4 % à 21 % répartis en cinq tranches. « Tout en rendant plus juste le régime fiscal, l’application de cette réforme, même à efficacité minimale, permettra de récolter près de 500 millions de dollars », approuve Me Daher.
Côté dépenses, M. Ghobril préconise le gel du recrutement dans le service public. « Le coût du personnel a augmenté de 7,5 % entre 2010 et 2015, tandis que le service de la dette a augmenté de 2,5 % sur la même période », plaide-t-il. Une réduction du service de la dette, deuxième plus grand poste de dépenses, est également préconisée. « Le taux d’intérêt moyen sur la dette libanaise est de l’ordre de 7 % à 7,5 % », affirme M. Corm, qui pointe du doigt le fait que la Banque du Liban et les banques commerciales détiennent l’essentiel (85 % en cumulé fin 2016) de la dette publique. « Une baisse d’un pour cent de ce taux permettrait à l’État de réaliser une économie de 740 milliards de dollars par an », explique M. Corm. « Il faut que l’État réduise ses besoins d’endettement. Lorsque le ratio déficit/PIB baissera sans hausse des impôts, alors les agences de notation amélioreront la notation souveraine libanaise, ce qui conduira à une baisse des taux d’intérêt », conteste M. Ghobril.