La moitié des dépôts sont abrités dans des comptes de plus d’un million de dollars et 3,7 % dans des comptes de plus de 100 millions de dollars, selon le FMI. Photo Bigstock/kiankhoon
Le FMI, qui se base sur des données qui lui ont été transmises par la Commission de contrôle des banques (CCB), révèle ainsi que 16 000 comptes, au solde supérieur à un million de dollars, pèsent la moitié de la valeur totale des dépôts ; tandis que moins de 0,1 % des déposants, soit 1 600 comptes, détiennent 20 % du montant total des dépôts. En outre, 84,6 % des dépôts sont concentrés dans des comptes de plus de 100 000 dollars tandis que les comptes de plus de 100 millions de dollars captent 3,7 % du total. Le FMI rapporte aussi que la concentration des dépôts est plus forte pour les comptes en devises : les comptes de plus de 1 million de dollars pèsent environ 60 % du total des dépôts en dollars contre 36 % des dépôts en livres. Contacté, le FMI a indiqué à L’Orient-Le Jour qu’il ne pouvait pas diffuser le document original de la CCB.
Comptes des non-résidents
Pour le FMI, cette concentration peut s’avérer être une source de fragilité et de risques pour la stabilité du secteur bancaire dans la mesure où cela « (…) exacerbe la vulnérabilité du système face aux retraits des grands déposants », note l’institution dans son rapport sur la stabilité financière du Liban.
Le rapport observe ainsi une certaine corrélation entre les croissances respectives de ces grands comptes de plus de 1 million de dollars et celle des dépôts en général. « Entre la fin 2008 et la fin 2015, les dépôts des comptes de moins d’un million de dollars ont augmenté de seulement 55 % en valeur, tandis que les dépôts des comptes de plus d’un million de dollars ont augmenté de 185 % », note le rapport. Pour le FMI, une grande partie du ralentissement de la croissance des dépôts en 2015 peut être attribuée à ces grands comptes. « Si, ces dernières années, les comptes de plus de 1 million de dollars ont augmenté de 12 à 14 % par an, en 2015, leur taux de croissance a diminué à environ 5,8 %, entraînant un ralentissement de la croissance des dépôts observée en 2015 », poursuit le rapport. Selon la Banque du Liban, les dépôts ont augmenté de 5 % en 2015 pour s’établir à 154,9 milliards de dollars, contre une hausse de 6 % en 2014 et de 9 % en 2013. Plus généralement, le FMI s’attend à ce que les coûts d’opportunité pour les déposants augmentent notamment du fait des « contrôles potentiels accrus liés à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme », tandis que la baisse des prix du pétrole et le ralentissement des économies des pays du Golfe pourraient avoir un impact sur la croissance des dépôts.
Ce risque de vulnérabilité est en outre accentué par le fait que la part des dépôts des non-résidents est probablement sous-estimée, selon le FMI. « Les dépôts des non-résidents représentent environ 23 % du total des dépôts. Mais les déposants ne sont considérés non-résidents que s’ils n’ont pas d’adresse libanaise. Étant donné qu’une grande partie de la diaspora libanaise possède des biens immobiliers au Liban, (…) la part des dépôts des non-résidents pourrait être plus importante », explique l’auteur de cette étude, Ruchir Agarwal. « Avec l’entrée en vigueur des normes internationales contre l’évasion fiscale comme la Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca) en 2014 (qui s’applique aux clients de nationalité américaine), et la norme internationale d’échange d’informations fiscales, ainsi que le durcissement des mesures de lutte contre le blanchiment d’argent, ce sont de plus en plus des Libanais qui détiennent des comptes de dépôt. Il devient de plus en plus difficile pour les étrangers de déposer leur argent au Liban », explique un banquier ayant requis l’anonymat.
Inégalités économiques
Selon lui, il ne faut pas pour autant y voir un risque accru de retrait massif : « Où pourraient-ils déposer leur argent ? En Suisse ? C’est de plus en plus compliqué là-bas aussi… De plus, la nature des déposants est stable, nous n’avons connu qu’un retrait des dépôts, et c’était à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005, mais ils se sont rétablis par la suite », lance-t-il.
Jad Chaaban, professeur d’économie à l’Université américaine de Beyrouth (AUB), pointe du doigt une autre question, non évoquée par le FMI: « Ces données confirment une tendance déjà établie par plusieurs études plus anciennes sur la concentration des richesses au Liban. Ces études montrent que la région connaît une inégalité économique plus élevée que le reste du monde, et que le Liban connaît lui-même une concentration des richesses plus forte que d’autres pays de la région », résume-t-il. Selon une étude menée par Credit Suisse en 2012, le Liban est le quatrième pays le plus inégalitaire en termes de richesse dans le monde, derrière Saint-Kitts-et-Nevis, la Russie et l’Ukraine. Selon la même étude, 0,3 % de la population possède plus d’un million de dollars, alors que 62,9 % détient moins de 10 000 dollars.
« Le Liban taxe peu les dépôts et les transferts de richesse, ce qui permet d’avoir une telle concentration », souligne Jad Chaaban, avant d’ajouter qu’il « aurait été intéressant de savoir combien de ces 16 000 déposants ont des liens avec le pouvoir politique… » Une information impossible à obtenir dans le cadre du secret bancaire.