
Le nouveau film du réalisateur Ziad Doueiri, « L’Insulte », produit par Ezekiel et coproduit par Rouge international, sort aujourd’hui le 14 septembre en salle. Un film qui donne des ailes au cinéma libanais.
Mémoire et pardon
L’action a lieu à Beyrouth, et plus particulièrement à Fassouh, un quartier chrétien d’Achrafieh. À la suite d’une insulte qui dégénère, Toni (chrétien libanais) et Yasser (réfugié palestinien) doivent se confronter devant les tribunaux. Pour écrire ce film, le réalisateur Ziad Doueiri a dit s’être inspiré « d’un petit incident » qu’il a vécu il y a quelques années. Son but n’est pas juste d’affirmer uniquement une prise de position, mais de raconter une histoire qui s’inscrit dans l’actualité, dans le cœur même de la société. Avec des mots crus, non par souci de provocation, mais plutôt d’authenticité –, le réalisateur appelle un chat, un chat –, Doueiri parle de deux choses : des blessures anciennes enfouies, de celles qui transforment un être humain en enragé, mais aussi de la confiance retrouvée dans la justice par un peuple opprimé. Regarder l’autre en face, mais aussi se regarder soi-même pour se dépasser et aller au-delà de ses faiblesses et de ses failles pour comprendre l’autre : tel est le sujet sur lequel le cinéaste élabore L’Insulte. Un sujet universel qui va de l’individu au collectif et qui touche l’humain en général.
Comment aucun travail de réconciliation et surtout de mémoire n’a encore été entamé, et aucun pardon de quelque sorte que ce soit n’a été effectué après ces trente années de guerre civile ? Pour susciter un débat et dans ce climat de déni continu, le metteur en scène essaye de retrouver dans le labyrinthe de la question libanaise le chemin de la dignité humaine. Et pour ce faire, il interroge la justice. Au bout du compte, ce que Toni et Yasser demandent, c’est l’équité – un bien vaste concept. Mais dans cette quête, « il y a également une recherche de la dignité », explique Doueiri.
« Proche de la peau »
La caméra du réalisateur libanais est d’un dynamisme foudroyant qui tient le spectateur en haleine. Tel un scanner, elle sonde l’intérieur humain dans un minimalisme muet et sans fioritures. « J’aime être proche, très proche de mes acteurs, a-t-il précisé. Proche de la peau qui respire, des yeux qui scrutent, se perdent dans le vague ou pleurent, proche, enfin, des êtres aux émotions qui se soulèvent comme un volcan. » Le réalisateur révèle, à ce propos, avoir fait passer des castings à plus de 400 acteurs avant de choisir les interprètes de son film. « Je n’en connaissais aucun auparavant et, à ma très agréable surprise, j’ai réalisé quel vivier de bons comédiens le Liban comprend. Il suffit de les mettre en lumière et de leur offrir l’occasion nécessaire pour s’affirmer et confirmer leur talent. »
L’Insulte invite encore et toujours à aller vers l’autre. Mais pour se réconcilier avec celle ou celui d’en face, il faudrait d’abord se réconcilier avec soi-même. Tout en ayant de l’empathie pour les deux personnages principaux, Joëlle Touma et Ziad Doueiri, on a tissé une histoire « humaine » et toute simple qui a lieu au Liban. L’Insulte est une invitation, en douceur et sans aucun ton moralisateur, à réfléchir sur les non-dits et sur les émotions enfouies. Une réflexion qui atteint son paroxysme en huis clos, dans de très belles scènes de tribunal où le cinéaste libanais témoigne de son professionnalisme et de son perfectionnisme. Du jamais fait dans le cinéma libanais.
Kamel el-Basha. Photo Michel Sayegh
KAMEL EL-BASHA : PERSONNE N’A LE MONOPOLE DU PATRIOTISME
Il était un homme de théâtre, né dans la ville sainte. Aujourd’hui, Kamel el-Basha est un acteur reconnu. Grâce à « L’Insulte », il a reçu à la Mostra le prix d’interprétation masculine pour le film de Ziad Doueiri, et bien que silencieux dans ce film, sa voix porte.
Comment le cinéaste libanais vous a-t-il contacté ?
Ziad Doueiri insistait pour avoir un acteur natif de Jérusalem et ayant l’accent palestinien. Des amis communs, comme Raëd Andoni, lui ont avancé mon nom et j’ai fait le casting par Skype. Il a tout de suite adhéré à mon jeu.
Pensez-vous que le sujet du film ne concerne que les Arabes ?
Si le film a plu à l’étranger et a été compris par des milliers de personnes non arabes, c’est parce qu’il est de portée universelle. Il parle des complexes et des émotions enfouies, des transferts d’émotions qui deviennent un jour de la rage et de la colère. Enfin, d’une petite insulte qui dégénère. Et ceci concerne de nos jours la planète entière.
Quelle a été la scène la plus difficile à jouer ?
Avec sa caméra dynamique qui tournoie autour de vous, qui joue le rôle d’un scalpel, Ziad Doueiri vous donne le vertige et, en même temps, coupe dans la chair jusqu’à ce que vous poussiez un cri. Le spectateur est donc tenu en suspens jusqu’au bout, comme si son souffle était coupé. Pour ma part, la scène où l’on me renvoie de mon emploi a été très dure. Un quart de minute a nécessité plus d’un quart d’heure de prises de vue. Le réalisateur était comme un pivert qui martelait avec son bec afin que j’explose. J’avais en pensée tous les travailleurs palestiniens de tous pays qui ont subi le même sort injuste, et ceci a créé un sentiment de révolte.
Que signifient les cinq minutes et demie d’applaudissements à Venise et le prix que vous avez reçu ?
D’abord, je suis fier d’avoir eu ce prix et je le dois à Ziad Doueiri qui a su tirer de moi l’essentiel. Quant à cette ovation debout, elle nous concerne, tous, en tant qu’équipe de travail qui a su élever la voix du cinéma arabe et le confirmer dans son statut international. Plus que cela, avant-hier, lors de la projection du film au Liban, je me sentais pousser des ailes devant la réaction des spectateurs. J’avais envie de porter le cinéaste sur mes épaules comme un vainqueur.
Avant et après « L’Insulte » ?
Je sais que je retournerai au théâtre et peut-être que je jouerais au cinéma, mais Ziad Doueiri a mis la barre haute pour moi et je vais devoir être plus exigeant envers moi-même à l’avenir.
Que pensez-vous de l’accueil accordé au cinéaste libanais à son retour de Venise ?
Nous autres artistes du Moyen-Orient avons beaucoup de problèmes à régler concernant notre avenir et notre travail. Que les politiciens exercent leur travail sans se mêler du nôtre et sans nous sermonner ou imposer leurs règles. Nous ne sommes pas des enfants. Nous savons fixer nos propres normes, car nous savons ce que nous avons à faire. Une action qui a lieu en Israël peut-elle être tournée au Nicaragua ? Je pense que Ziad Doueiri, dans son film L’Attentat, a su employer des acteurs israéliens au service de la cause palestinienne. Si ces partis pensent faire de la résistance, qu’ils résistent à travers leur domaine politique. Quant à nous, nous avons nos propres moyens de résister à travers l’art. Et avec tout le respect que je leur porte, je leur dis : si vous êtes différents de moi, ne m’insultez pas et me m’humiliez pas. Et surtout ne me donnez pas de leçons de patriotisme, parce que vous n’en avez pas le monopole.
Adel Karam. Photo Michel Sayegh
« VOIR LE ADEL DE “MA FI METLO” SIGNER UN AUTOGRAPHE À VENISE À UNE ITALIENNE ÉMUE… »
Jusque-là, il était animateur de télé et comédien stand-up. Aujourd’hui, Adel Karam incarne Toni Hanna, le chrétien vivant à Fassouh, hanté encore par les fantômes du passé. Entretien avec cet acteur de haut niveau qui ne perd rien de sa gouaille.
Quand Ziad Doueiri vous a casté, qu’est-ce qui vous a séduit le plus ?
Il m’a raconté en bref l’histoire. Elle m’a tout de suite interpellé. Sans compter que c’est un honneur pour tout acteur de travailler avec un metteur en scène de son calibre. Avoir été choisi parmi 400 acteurs (je ne sais combien ont été castés pour le rôle de Toni Hanna) m’a rempli de joie et de fierté.
Vous avez appréhendé d’avoir été choisi ?
Non, je n’ai pas craint d’incarner ce personnage, même s’il s’agissait d’un rôle dramatique. C’est une responsabilité énorme, mais à la fois gratifiante. Je suis quand même un acteur. J’ai d’ailleurs toujours préféré les rôles au cinéma plutôt qu’à la télévision, même si je suis un animateur télé et un homme de spectacle.
Comment vous êtes-vous préparé à ce rôle ?
D’abord, en travaillant avec le réalisateur sur le personnage. En allant dans les moindres détails : son passé, son caractère, son idéologie… D’autre part, je peux dire que j’avais aussi un avantage. Le quartier de Fassouh dans lequel on tournait certaines scènes est le quartier où j’ai grandi, et le garagiste dont j’emprunte le métier dans le film est mon ami. Cela m’a beaucoup aidé. Je suis issu de ce milieu et je connais beaucoup de personnes qui ressemblent à Toni. Contrairement à Camille Salamé, qui devait travailler énormément sur son personnage.
Quelle a été à votre avis la scène la plus difficile ?
Les scènes où je devais pleurer. Mais aussi, et surtout (NDLR : Adel Karam part d’un fou rire) les scènes au tribunal, parce que la technologie et l’invention de la climatisation ne sont pas passées par là. Comme 40 % du film était tourné dans une salle de tribunal, nous passions notre temps à changer d’habits et à nous débarbouiller. Au bout du compte, le résultat était fabuleux.
Qu’ont représenté pour vous cinq minutes et demie d’applaudissements à Venise ?
Je suis une personne timide – si, si, croyez-moi – et à la vue de cette salle comble qui applaudissait sans relâche, je me suis senti intimidé, ne sachant pas où et quoi regarder. N’empêche que c’était cinq minutes et demie de pur bonheur.
Aujourd’hui, que doit Adel Karam à Ziad Doueiri ?
Je lui doit tout. Avant L’Insulte, j’étais simplement Adel, que les Libanais connaissaient. Aujourd’hui, je suis un personnage international. N’est-ce pas surprenant de voir Adel de Ma Fi Metlo et de Hayda Haké signer des autographes à Venise et serrer la main tremblante d’une Italienne qui vous dit que vous l’avez émue dans L’Insulte ?
Avant et après « L’Insulte » ?
Être formé par un tel professionnel est un cadeau du ciel. Aujourd’hui, je peux dire que l’amateur que j’étais –car qu’on se l’avoue : rares d’entre nous sont de vrais professionnels ou ont connu leur véritable potentiel – a beaucoup appris en côtoyant Ziad Doueiri, lequel m’a avoué un jour que j’étais brave. Je suis visiblement un bon élève. Alors que lui dire aujourd’hui en retour ? Sauf qu’il a chamboulé notre vie et nous a mis dans tous nos états. On était habitués à manger de la confiture. Après s’être initié au travail de Ziad Doueiri, on ne peut plus se suffire de la simple marmelade, il nous faut de la achta… Voire des macarons.