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Comment je suis devenue bonne

Comment je suis devenue bonne

Photo GK.
PHOTO-ROMANUne employée de maison retrace le chemin qui l’a conduite de la Guadeloupe à Beyrouth, sur ce balcon cloîtré et bruyant où elle rêve des plages dorées de son enfance

29/05/2017

Contrairement à la plupart de mes consœurs d’immeuble et de quartier, on ne m’a pas choisie sur catalogue. Si cela peut te rassurer… J’avais dix-sept ans et l’adolescence revêche, insolente, cabocharde, qui ne demandait conseil qu’à elle-même et déroutait son monde autour. Mes épaules étaient aussi carrées que mes bras fluets, semblables à des échalas ballants que mon père traitait d’oiseaux bons à rien. Franchement, bonne, je l’étais à des choses que ces préjugés butés considéraient mauvais pour une fille de mon âge. C’est qu’au lieu de me clouer derrière des fourneaux fumants, mon allure d’armoire sur pattes, mes mollets de torero et mes jambes de gazelle en furie m’auguraient une autre fortune. Ils m’envoyaient sans cesse fouler la glaise de ma Basse-Terre. Je ne marchais pas, je courais. Partout, tout le temps, plus rapide que mon ombre, et chaque enjambée me rapprochait un peu plus de cette destinée fantasmée de Marie-José Pérec, guadeloupéenne elle aussi

Un matin que j’astiquais ma fierté sur les crampons d’une paire d’Adidas usés, pour laquelle j’avais longuement économisé, ma mère m’avait convoquée. Au bord de ses lèvres mutées en mitraillettes, j’avais vu mon destin suspendu, prêt à basculer, alors qu’elle m’avertissait : « La semaine prochaine, tu iras rejoindre ta sœur au Liban. On t’a trouvé du travail dans une maison de gens bons et honnêtes. » Ces mots avaient suffi à faire de moi un complément d’objet indirect. Le truc d’une phrase où le sujet n’était autre qu’un on douteux et redouté. Puis il y a eu mon arrivée dans ce pays où toute goutte de sang noir nous fait nègre. J’y avais débarqué avec un maigre baluchon, voyageuse sans bagages aux souvenirs mis au clou, au passé abandonné à sécher sous le soleil de mon île. Mon illusion de légèreté avait bien amusé le gendarme responsable d’escorter les comme moi vers le point où patientent les patronnes. En franchissant le seuil de l’Espace pour les bonnes où fourmillaient des dames fébriles et flageolantes sur talons, j’étais donc devenue bonne, ce qui aurait sans doute ravi mon père. Le choc avait surtout été provoqué par toutes ces femmes qui nous appelaient les leurs. « Je cherche la mienne ! Tu as trouvé la tienne ? Elle a reconnu la sienne. » J’avais ainsi compris que je devenais surtout le pronom possessif d’une certaine madame Dolly, inquiète et adorable, qui m’avait tenu la main après m’avoir comparée à la photo

La cabine téléphonique

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