
Carma Andraos à la manière de « Game Of Thrones ». Photo DR
BEYROUTH INSIGHTGraphiste et publicitaire, mais aussi pôle de la nuit beyrouthine en tant que cofondatrice du collectif Cotton Candy, Carma Andraos ouvre le four Manakitsch à Barcelone. Tordante et débordante, elle se réinvente sans cesse tout en revendiquant l’amusement comme vecteur de ses projets.
Flair et affect
Depuis toujours, les choix de Carma Andraos n’ont été guidés que par le flair et l’affect. Évoquant ses années d’études en graphisme à l’AUB où elle atterrit à défaut d’un penchant pour les matières scientifiques, elle se souvient qu’« en cours, quand on me demandait de justifier telle typographie ou telle couleur, alors que les autres étudiants argumentaient presque leurs décisions, pour moi c’était simplement : j’aime ». C’est pareil à la sortie de la fac, lorsqu’elle gomme avec cette même jovialité tous les embarras et les règles que le monde de la publicité impose. Dans les multiples agences où elle se démarque de par sa griffe tendrement déjantée, notamment chez Léo Burnett, on la laisse faire car sa manière enjouée, une sorte d’autorité à grand sourire, de déjouer les circuits préétablis de la profession (lui) réussit bien. « Il y avait un élan créatif qui faisait bouillonner Beyrouth. Chez Léo Burnett, J’ai vécu mes plus belles années de publicité. J’ai participé et conduit des projets à la fois ludiques et fédérateurs : le Come As You Are pour Crepaway, les campagnes Keep Walking de Johnny Walker. Nous étions très libres en fait et pleins d’enthousiasme. ».
Ce qui lui plaît dans le métier, « au-delà de la réclame stricto-sensu, c’est le concept de la vente d’une image. C’est une démarche mathématique, mais farfelue, un peu comme trouver la solution d’un problème en rigolant. » Une philosophie sans afféteries dont elle imprègne son quotidien et qui lui permet de balayer les embûches, de se faire battante à armure rose bonbon. D’injecter de l’humour aux tempêtes de la vie, de saupoudrer de confettis les moments brumeux.
En 2005, histoire justement de mettre le feu aux brindilles de ses jours, Carma Andraos fait son intrusion dans la nightlife libanaise qu’elle affolera sans le savoir. Elle raconte : « On s’est dit avec Jimmy Francis et Laila Sarkis (cofondateurs de Cotton Candy) : “Faisons une soirée chez mes parents, avec les moyens de bord.” On reconnaissait tout le monde, c’était libre et généreux. » Et de poursuivre : « Les choses se sont enchaînées, les sponsors nous approchaient, on travaillait en groupe, on se serrait les coudes, on faisait tout de A à Z. D’ailleurs, je me suis souvent retrouvée dans une station d’essence ou au supermarché en pleine nuit sur des talons aiguilles. » De fait, les évènements produits par le collectif au patronyme et à l’univers barbe à papa et leurs fourmillements souterrains baliseront une nouvelle manière, décalée et débridée, joueuse et affranchie, de faire la fête à Beyrouth. « Les gens disent qu’on a ouvert une voie dans la nuit libanaise. C’est la plus belle récompense. Surtout qu’on ne s’en est jamais rendu compte, on ne s’est jamais pris au sérieux. On gérait nos finances comme au Monopoly ! »
Parallèlement à l’aventure Cotton Candy, sans cesse chatouillée par sa nature de femme aux talents de couteau-suisse et sans essoufflement aucun, surtout, Carma empile et alterne les projets qu’elle cornaque du haut de ses stilettos vernis. Elle lance Baby & the City, une marque de vêtements pour bébés, s’envole pour Dubaï, fait du stylisme pour une émission télévisée au Qatar et cofonde en 2012 une agence de pub baptisée Lorem Ipsum.
Street food
Dernièrement, elle a beau réaliser qu’elle « bascule dans une routine de 9 à 5 qui ne me ressemble pas, et la pub vers la réclame », qu’elle a besoin « de passer à autre chose », Carma Andraos se verrait mal siestant sur les lauriers de ses milles et unes vies chargées. Au gré des voyages qui pimentent sa vie, elle (re)découvre Barcelone pour laquelle elle tombe en pâmoison et où elle décide, « comme à mon habitude, en commençant par un pourquoi pas », d’installer Manakitsch, plus particulièrement dans le fameux quartier gothique. Comme le nom du lieu – détourné à la manière Carma – l’indique, ce sera un four, au parterre rose à la façon Carma, où le menu se déclinera autour de la galette locale libanaise. La cofondatrice en détaille le concept : « Avec mes deux partenaires Rami Tibi et Raymond Arab, et nos deux autres silent partners, on a simplement eu envie d’étendre les limites du pays. C’est simple et sans prétention, l’idée est d’intégrer la man’ouché, salée et sucrée dans le street food. Une évidence ! » Avant de conclure : « En fait, j’ai besoin que tout dans ma vie, surtout les pans les plus sérieux, soit amusant et ludique. Que l’amusement soit même cérébral ! C’est comme ça que les choses réussissent. » En définitive, toute une histoire de (bon) karma.